Entretien Catherine Gamblin-Lefèvre et Vincent Jean / Chorège CDCN : 30 ans de danse en milieu rural
Chorège fête cette année ses 30 ans. Née à Falaise dans une dynamique associative, la structure est aujourd’hui un Centre de Développement Chorégraphique National, traduction de l’éclatante réussite d’un projet fort : stimuler la pratique de la danse et la création chorégraphique en milieu rural. Entretien avec sa fondatrice, Catherine Gamblin-Lefèvre, et son directeur depuis 2021, Vincent Jean.
Qu’est-ce qui a mené à la création de Chorège ?
Catherine Gamblin-Lefèvre : J’ai d’abord créé un lien autour de la danse comme professeure d’éducation physique et sportive au lycée Louis-Liard de Falaise : pratique, élaboration de chorégraphies avec les élèves, participation à des festivals nationaux, avec parfois des résultats marquants. Je suis ensuite devenue professeure relais-danse dans l’académie de Caen puis j’ai enseigné la danse à l’UFR STAPS. Il me semblait dommage que les jeunes ne puissent pas continuer la danse en dehors du temps scolaire. Au sein d’une association, je donnais des cours d’entretien corporel à des adultes et des seniors. Avec quatre amis, nous avons voulu créer une association plus spécifiquement tournée vers la danse de création. Chorège est ainsi née en 1993.
Comment s’est d’abord déployée l’activité de l’association ?
CGL : Elle s’est ancrée sur l’éducation artistique et culturelle. En plus des cours pour adultes et seniors, nous avons créé des cours de danse de couple et de rock puis de danse contemporaine. Avec toujours l’idée que les cours techniques devaient être associés à un travail de création artistique (personnel ou en groupe). Dès que c’était possible, nous faisions venir des artistes pour animer des stages ou des ateliers ponctuels. Nous montions également des dossiers avec des établissements scolaires pour des ateliers de pratique artistique.
Quelle était alors la place de la danse sur le territoire ?
CGL : Il y avait quelques spectacles de danse dans la saison culturelle de la ville de Falaise en lien avec l’Office Départemental d’Action Culturelle du Calvados. En termes de pratiques amateurs, il y avait à mon arrivée une école de danse classique qui était très ancrée.
Comment s’est développée et structurée l’activité de Chorège au fil des ans ?
CGL : Sur proposition de l’inspecteur pédagogique régional d’EPS, l’enseignement Arts-Danse a été créé au lycée Louis-Liard, axé sur la culture chorégraphique, pratique comme théorique. En accord avec la DRAC, Chorège en est devenue la structure partenaire. En 2003, nous avons créé le festival Danse de tous les Sens, un événement fort sur le pays de Falaise. Cela a été une première grosse étape. En 2007, voyant l’importance qu’avait peu à peu prise la danse, la municipalité, avec l’aide des autres collectivités, a accepté de construire l’Espace Danse, deux studios. En 2009, dans le prolongement de ce travail de fond, le Pays de Falaise est devenu Relais Culturel Régional pour la danse et la littérature jeunesse. La ville a alors confié à Chorège le secteur danse. Pour la première fois, nous avions des moyens pour soutenir la création chorégraphique, notamment en accueillant des compagnies en résidence. Pour pérenniser ces moyens lors de la réunification des 2 Normandie, j’ai entamé des démarches en vue d’un processus de labellisation, qui a abouti en 2020 grâce à l’engagement des différentes collectivités et de l’État.
Vincent, la question du lien aux publics et aux territoires a été centrale dans votre parcours. Quel regard portez-vous sur ce projet tel qu’il s’est développé depuis 1993 ?
Vincent Jean : Je l’ai tout de suite perçu comme une sorte de miracle. Il y avait là, à Falaise, quelque chose qui existait autour de la danse, mis en place par Catherine et tout un groupe intergénérationnel de personnes, reliées les unes aux autres par la danse et par différentes manières d’en être les amateurs. Il est rare de rencontrer un lien si intense entre une pratique amateur de la danse et une culture chorégraphique qui embrasse toutes les dimensions de la danse. C’est ce qui a fait qu’à Falaise, il y avait de la danse là où a priori on ne l’attendait pas. Il y avait de l’hospitalité pour la création chorégraphique là où, à l’écart des grands centres urbains, on n’en trouve généralement pas. J’ai travaillé dans le champ de la médiation, dans l’art contemporain comme dans le spectacle vivant, et je connais les résistances qu’il peut y avoir à cet égard. Là il m’a semblé qu’un cercle absolument vertueux s’était enclenché et qu’il était important de le prolonger et le pérenniser. S’inscrire dans une histoire tout en continuant à la raconter.
CGL : Faire découvrir la danse contemporaine aux habitants a été un travail de longue haleine. Ce qui y a grandement contribué, c’est – dans le cadre du festival – la “grande rencontre chorégraphique” qui permettait aux amateurs de présenter le travail qu’ils avaient pu mener avec des artistes. Cela les engageait énormément et a contribué à faire connaître le festival mais aussi Chorège et ses missions.
Chorège a été labellisée Centre de Développement Chorégraphique National en 2020. Qu’est-ce que cela a changé ?
CGL : Nous menions déjà les missions d’un CDCN mais avec des moyens réduits. La labellisation nous a apporté une visibilité nationale, des moyens importants, l’inscription dans un réseau. Même si nous participions déjà à plusieurs réseaux nationaux ou interrégionaux, ce qui est essentiel pour une petite structure un peu isolée.
VJ : Il y a des CDCN non pas là où la puissance publique aurait, pour des raisons d’aménagement du territoire, déterminé qu’il fallait en positionner mais là où des aventures militantes ont fait exister la danse contre toute attente. Chorège était prête à rejoindre le réseau des CDCN et couvrait déjà l’essentiel du cahier des charges lié à ce label : soutien à la création chorégraphique, participation à une dynamique structurante pour le réseau chorégraphique à l’échelle régionale et même nationale, interaction avec le territoire d’implantation, expertise dans les actions de transmission et d’éducation artistique et culturelle.
Quels sont aujourd’hui les axes de développement du CDCN Falaise Normandie ?
VJ : Je me place d’abord dans un mouvement de continuité. Ce que je porte avec Chorège aujourd’hui, c’est d’une part l’affirmation du caractère rural de notre ancrage, à une échelle un peu amplifiée, qui commence par considérer le Pays de Falaise pour porter ensuite son regard sur les territoires immédiatement voisins, dans le Calvados et l’Orne, que nous considérons comme notre terrain d’action prioritaire. La ruralité est l’endroit où nous agissons d’abord, ce qui n’empêche pas de contribuer à la vitalité du secteur chorégraphique à l’échelle régionale, avec le CCNCN notamment. Il s’agit d’habiter le territoire avec la danse, par un usage amplifié de lieux qui ne sont pas nécessairement équipés pour le spectacle vivant. Un autre enjeu important, c’est d’augmenter la diffusion des spectacles, avec d’une part le festival Danse de tous les Sens, qui continue d’exister, et d’autre part un nouveau temps fort déployé sur un mois, à l’automne, qui s’appelle Flash. Nous renforçons également notre soutien à la création : plus de trois quarts des spectacles proposés sont des créations très récentes, qui ne sont pas encore finalisées quand nous les programmons. Je souhaite aussi qu’on puisse voyager aux lisières de la danse, dans ses hybridations avec d’autres langages artistiques, quitte à déplacer nos attentes de spectateurs. La danse est un art du mouvement mais aussi un art en mouvement, qui ne cesse de changer ses conventions et d’inventer des formes inattendues. Il faut que cela soit très concret dans notre projet.
CGL : Vincent peut prendre davantage de risques. Je devais être attentive à l’écart entre ce que les gens attendaient de la danse à mon époque et ce que je pouvais leur montrer. Il fallait fidéliser ce public et ne pas le faire fuir. Ce travail d’accompagnement était très important mais il m’a longtemps empêchée de prendre de trop gros risques. Il fallait notamment que je voie les pièces en amont pour être sûre de mon coup.
VJ : Cela crée aujourd’hui une grande qualité d’écoute du public. Nous ne pourrions pas aller aussi loin, avec des propositions artistiques parfois surprenantes pour le public, si Catherine, l’équipe et les bénévoles n’avaient pas fait en sorte qu’il existe un contexte d’accueil pour cela, un terrain favorable.
Les prochaines propositions du ccncn en partenariat avec Chorège CDCN Falaise Normandie :
Trottoir de Volmir Cordeiro, le jeudi 11.05, 20h30 au Forum, Théâtre de Falaise
Les Baigneurs de Clédat & Petitpierre, le samedi 13.05, 12h Place Belle Croix, Falaise
Les Mariés, même de Clédat & Petitpierre, le jeudi 18.05, 17h au Parc du château de la Fresnaye, Falaise
Corps & Voix, stage avec Flora Détraz, les samedi 08 et dimanche 09.07, au ccn
Entretien réalisé Vincent Théval, avril 2023