Les bureaux du centre chorégraphique seront fermés du 27 juillet au 18 août inclus. Toute l'équipe vous souhaite un bel été ⛱

Entretien : Katerina Andreou

L’automne sera dense pour notre artiste asso­ciée Kate­ri­na Andreou, qui pré­sente sa nou­velle pièce – Bless This Mess – et mul­ti­plie les col­la­bo­ra­tions exci­tantes. Le 8 novembre, elle sera au cœur de la Big Par­ty du ccncn avec des pro­jets qui portent haut les notions de trans­mis­sion et de ren­contre et tra­duisent son ins­crip­tion sur le ter­ri­toire au cours des deux der­nières années. Entre­tien avec la cho­ré­graphe et dan­seuse grecque, qui évoque ces dif­fé­rents aspects de son acti­ci­té et l’importance pri­mor­diale du collectif.

Vous serez pré­sente à plu­sieurs titres au sein de la Big Par­ty cette année. Quel lien entre­te­nez-vous avec la fête ?
Kate­ri­na Andreou
 : C’est un ima­gi­naire assez fort chez moi, mais pas for­cé­ment une réa­li­té fré­quente, car cela implique un cer­tain mode de vie. Disons que c’est une réa­li­té qui ne s’est jamais vrai­ment déployée, comme si j’étais tou­jours à côté de la fête, que je l’observais de loin ou que j’avais beau­coup rêvé d’une fête idéale ou d’un ras­sem­ble­ment idéal. J’éprouve tou­jours des émo­tions très fortes quand il se forme des com­mu­nau­tés éphé­mères, que ce soit pour pro­tes­ter contre quelque chose (dans une mani­fes­ta­tion) ou témoi­gner du simple désir de retrou­ver la joie. Pour moi, la fête ou le ras­sem­ble­ment sont des espaces où l’on peut éprou­ver un sen­ti­ment de liber­té et des liens basés sur un sys­tème de valeurs. J’ai lu récem­ment l’essai TAZ, zone auto­nome tem­po­raire de Hakim Bey, où il estime que la fête est le seul endroit où on ne peut pas être gou­ver­né : c’est un espace-temps qui peut échap­per à un sys­tème de contrôle, grâce à son carac­tère éphé­mère ; il s’autodétruit avant. Et c’est un ima­gi­naire qui me tra­verse aus­si en termes cho­ré­gra­phiques : ma ges­tuelle s’y rap­porte, tout comme la façon dont je noue des rela­tions avec le public ou avec les autres sur le pla­teau, comme dans Bless This Mess. C’est le conte­nu même de mes recherches pour arri­ver à des pièces chorégraphiques.

Pou­vez-vous nous pré­sen­ter Rave to Lament, l’une des deux per­for­mances qui sera au cœur de la Big Party ?
C’est une per­for­mance que j’ai créée assez rapi­de­ment, pour un fes­ti­val à Athènes, dans une période post-covid et où les ras­sem­ble­ments fes­tifs étaient encore déli­cats. J’ai choi­si de tra­vailler sur la tris­tesse col­lec­tive que géné­raient cette situa­tion et le doute sur l’avenir, en pre­nant le thème des raves, des free par­ty, dont je connais l’existence sans en avoir qua­si­ment jamais vécu. J’étais enfant quand le mou­ve­ment des raves bat­tait son plein à Athènes et je l’ai j’ai obser­vé de loin. C’est aujourd’hui comme un fan­tasme et cela m’a attris­té de ne pas l’avoir vécu. Je vou­lais une per­for­mance, avec un texte pro­je­té, qui parle de ce désir de célé­brer quelque chose qui nous ras­semble. Comme le fes­ti­val avait peu de moyens, c’est une per­for­mance in situ, sans élec­tri­ci­té, avec une voi­ture tunée. Cela convoque le côté popu­laire de la fête, qu’on retrouve dans les quar­tiers à Athènes, et amène aus­si la ques­tion des classes sociales : qui a accès à ces fêtes, à ces musiques ?

En quoi dif­fère la ver­sion qu’on pour­ra en voir le 8 novembre à Caen ?
Elle est le fruit d’une réflexion que nous avons menée avec l’équipe du ccncn, où nous avons ima­gi­né une semaine de trans­mis­sion cho­ré­gra­phique que j’animerai auprès de pro­fes­sion­nels émer­geants, des étu­diants qui sortent de l’école. C’est un moment dif­fi­cile peur eux et elles, où il faut trou­ver com­ment conti­nuer et ren­trer dans le champ pro­fes­sion­nel. Cinq ou six per­sonnes vont suivre cette semaine de pro­fes­sion­na­li­sa­tion et nous ver­rons com­ment dis­tri­buer les rôles pour la per­for­mance lors de la Big Par­ty. Pour moi, c’est un chal­lenge réjouis­sant parce que je n’ai jusqu’à pré­sent jamais trans­mis mon écri­ture chorégraphique.

Vous avez pour­tant une impor­tante acti­vi­té d’enseignement. Com­ment la concevez-vous ?
Cela dépend des contextes. Quand un work­shop est adres­sé à un public ama­teur ou pro­fes­sion­nel, j’estime que les per­sonnes doivent repar­tir en ayant tra­ver­sé une expé­rience. Et c’est avant tout une expé­rience de ras­sem­ble­ment, de groupe, c’est-à-dire d’une éner­gie qui les conta­mine les uns les autres. Il s’agit moins d’étudier les outils spé­ci­fiques avec les­quels je com­pose que de s’interroger sur la façon dont le col­lec­tif que l’on forme à un moment don­né – pen­dant cinq ou dix jours – peut créer un ima­gi­naire qui va accom­pa­gner les par­ti­ci­pants par la suite. Com­ment des outils comme le son, mon éner­gie ou mes gestes, les conta­minent ? Être et dan­ser avec les autres cor­res­pond à un besoin très impor­tant, pour moi. Dans un contexte dif­fé­rent comme le mas­ter cho­ré­gra­phique exerce à Mont­pel­lier, j’essaie plu­tôt de par­ta­ger mon regard dra­ma­tur­gique et mes outils de com­po­si­tion, qui sont basés sur des pra­tiques d’abstraction mais visent à des gestes très concrets. Ce sont plus des stra­té­gies de création.

Lors de la Big Par­ty, vous allez aus­si pro­po­ser une per­for­mance inédite, fruit de ren­contres et ate­liers avec les joueuses de Rol­ler Der­by caen­naises. Com­ment s’est dérou­lé ce projet ?
Nous nous sommes ren­con­trées à tra­vers le pra­tique et avons ima­gi­né nos échanges comme des dons : elles m’apprenaient le rol­ler – enfin, à rou­ler sans peur – et je leur fai­sais habi­ter d’autres ima­gi­naires, pour expé­ri­men­ter une autre sorte de réac­ti­vi­té. Nous avons joué ensemble pen­dant deux ans, de façon très libre, sans nous sou­cier du résul­tat. C’était très ins­pi­rant et récon­for­tant pour moi de voir ces femmes se ras­sem­bler en dépit de leurs contraintes per­son­nelles, pour le seul plai­sir de vivre leur pas­sion. C’est un sport qui n’est pas spon­so­ri­sé et leur seule récom­pense est leur joie de jouer, ce qui est pour moi très lié à l’enfance. Et elles m’ont dit que cela avait sou­dé leur groupe et amé­lio­ré leur jeu. C’est avant tout une belle ren­contre humaine.

Cet automne, vous pré­sen­te­rez éga­le­ment au ccncn votre nou­velle créa­tion, Bless This Mess, quelques jours après sa pré­sen­ta­tion au Fes­ti­val d’Automne à Paris. Pou­vez-vous nous en dire quelques mots ?
C’est ma pre­mière pièce de groupe et je vou­lais conti­nuer ce che­mi­ne­ment où je me base sur un état émo­tion­nel ou men­tal pour créer. J’ai choi­si la confu­sion (le Mess du titre) qui ne décrit pas une forme scé­nique mais un rap­port au monde d’aujourd’hui, où tout est très instable. Je vou­lais arri­ver à célé­brer cette confu­sion – pour ne pas être para­ly­sée – et j’avais besoin de m’associer aux autres : je ne pou­vais pas célé­brer cela seule, dans ma tête. Nous créons une com­mu­nau­té éphé­mère sur scène et j’essaie d’amener une éner­gie qui va bas­cu­ler par moments vers la joie, d’où le Bless du titre. Pour cette pièce, le punk m’a beau­coup aidée, comme un man­tra pour aller vers une écri­ture qui embrasse la confu­sion, sans com­plai­sance, sans suivre un récit. On ne se pose jamais, on conti­nue à voya­ger dans la pièce et on crée notre propre monde, un peu confus, qui per­siste dans son élan, avec des hauts et des bas.

Vous allez aus­si col­la­bo­rer avec Flo­ren­tin Ginot, com­po­si­teur asso­cié au ccncn, sur la pièce Not Here – exten­ded
C’est une grande sur­prise. J’ai beau­coup écou­té sa musique pour com­prendre sa façon de tra­vailler, son ima­gi­naire, et ce que cela dégage chez moi. C’est très dif­fé­rent du son que je pour­rais uti­li­ser mais très proche du son que je peux écou­ter pour mon plai­sir, chez moi. La pro­po­si­tion vient d’Alban Richard, pour une créa­tion éphé­mère : nous n’aurons que quelques jours pour voir com­ment nos uni­vers peuvent coïn­ci­der. Je trouve que c’est un geste per­for­ma­tif très fort, de créer un lien en peu de temps et voir ce que ça va donner.

Trois ren­dez-vous avec Kate­ri­na Andreou cet automne : 

Bless This Mess, le mer­cre­di 25 sept. 20h au ccn
Not Here – exten­ded de Flo­ren­tin Ginot, le mar­di 05 nov. 20h au Conser­va­toire de Caen
La Big Par­ty, le ven­dre­di 08 nov. au ccn

entre­tien réa­li­sé par Vincent Thé­val, juillet 2024
pho­to © Agathe Poupeney

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