Le ccncn en Europe
Au fil des ans, le centre chorégraphique national de Caen a affirmé un fort ancrage international et développé la portée européenne de son projet. Par sa programmation mais aussi en imaginant des projets singuliers avec la Lituanie et le Portugal, basés sur le temps long et un goût pour l’échange.
Au cœur du manifeste qui guide les actions du ccncn depuis 2015, il y a la volonté de “créer, accueillir, produire, programmer des spectacles aux écritures qui interrogent le monde dans lequel nous vivons.” Il s’agit du monde tel qu’il prend forme à nos portes et sous nos yeux mais aussi tel qu’il se déploie bien au-delà de nos frontières, avec lequel il faut plus que jamais nouer des solidarités, impulser des échanges qui valorisent la relation et la coopération, resserrent les liens culturels. Cette ouverture internationale passe naturellement par la programmation et les résidences de création : entre 30 et 50% des artistes accueilli·es par le centre chorégraphique national de Caen sont étrangers. Nous avons ainsi accueilli des équipes canadiennes, brésiliennes, philippines, sud-africaines et européennes (italienne, espagnole, lituanienne, portugaise, grecque et chypriote). Cette politique volontariste peut aussi prendre la forme d’actions ponctuelles de solidarité spontanée avec des artistes en danger. Ainsi, le ccncn a pris part au large mouvement de soutien aux artistes brésiliens quand le leader de l’extrême-droite populiste Jair Bolsonaro a pris le pouvoir en 2019 (an accueillant des équipes à Caen) puis quand son inaction face à la crise du Covid a eu les répercussions catastrophiques que l’on sait sur la population. En 2020 et 2021, le ccncn a ainsi participé au dispositif Panorama Raft initié par Nayse Lopez, directrice du festival Panorama de Rio de Janeiro, pour soutenir les artistes sur place.
Mais cette ouverture a surtout pris la forme de projets au long cours, développés avec des partenaires en Lituanie (à Klaipėda) et au Portugal (à Porto). Sous des formes très différentes, ils donnent la mesure d’un engagement renouvelé au fil des ans. Ils sont nés de connections personnelles et humaines, en dehors des dispositifs institutionnels plus classiques impulsés par l’Union Européenne.
DES RESIDENCES CROISÉES AVEC LE TEATRO MUNICIPAL DE PORTO
Engagé en 2018, le partenariat entre le ccncn et le Teatro Municipal do Porto Rivoli Campo Alegre (Portugal) est à la fois simple et porté par une confiance et une vision communes aux deux institutions. Il s’agit pour nos collègues portugais de choisir l’une des équipes artistiques reçues en Accueil-Studio au ccncn et de l’accueillir pour une résidence à Porto. En retour, nous choisissons une équipe portugaise parmi une sélection proposée par le théâtre et la recevons à Caen pendant deux semaines, à l’issue desquelles se tient une ouverture publique. Cela implique un dialogue nourri entre nos équipes, une bonne compréhension de nos lignes artistiques respectives, un partage de connaissances et d’enthousiasmes. Une bonne entente qui coule de source puisque ce programme de résidences croisées a été imaginé avec Tiago Guedes, alors directeur du Teatro Municipal do Porto, avant cela basé en France et très au fait du fonctionnement de nos centres chorégraphiques nationaux. Signe que le projet était pertinent et répondait à un besoin, il a perduré avec l’arrivée d’une nouvelle direction à la tête du théâtre.
Ces échanges ont permis d’établir de nouveaux liens entre nos artistes et nos pays respectifs. Le ccn a ainsi accueilli les chorégraphes Marco da Silva Ferreira (2018) et Catarina Miranda (2023) avec leurs équipes artistiques et techniques, tandis que le Teatro Municipal do Porto Rivoli a accueilli Ola Maciejewska (2018), Flora Detraz (2020) et Calixto Neto (2023). Autre signe de la pertinence du projet : c’est suite à sa venue en résidence à Caen que Marco da Silva Ferreira est devenu artiste associé au ccncn et poursuit depuis un beau parcours international. En 2024, le partenariat est renouvelé avec une quatrième vague de résidences croisées.
KLAIPEDANSE EN LITUANIE
Klaipedanse est un projet de coopération franco-lituanien initié en 2017 entre le centre chorégraphique national de Caen en Normandie, la Seiko Dance Company dirigée par Agnija Seiko, l’Institut français de Lituanie, la municipalité et l’université de Klaipėda. Il a pour objectif de créer chaque année un programme culturel, éducatif et universitaire dans le domaine de la danse contemporaine au fil de formations professionnelles (workshops), médiations artistiques (ateliers) et créations de spectacles. Pour cela, Klaipedanse reprend la méthodologie et l’éthique des projets situés que le ccncn développe en Normandie, pensés et co-construits avec des partenaires, en tenant compte de la réalité de la région et des habitant·es. Celui-ci s’enracine dans un autre territoire mais la façon de penser et d’opérer est la même, en embrassant des données historiques, culturelles, sociétales, financières et cultuelles qui sont différentes et propres à cette ville et ses habitant·es, qu’il a fallu apprendre à connaître.
Parmi ces données, émerge la question du rapport particulier qu’entretient la population à l’espace public. Pendant un certain nombre d’années, l’espace public en Lituanie (alors soviétique) a représenté un endroit où les citoyens n’étaient pas pleinement en sécurité, où l’on n’avait pas le droit de parler lituanien (mais russe), où l’on se méfiait des autres en vertu d’un système de surveillance généralisée. Alban Richard et les équipes du projet ont donc imaginé en premier lieu des performances qui se tiennent dans l’espace public, avec les habitant·es, et ainsi travaillé différemment leur relation à l’architecture ou à la sociabilité. Cet enjeu, qui n’aurait peut-être pas été au cœur d’une création dans une autre ville, imprègne les performances et ateliers développés à Klaipėda.
Le projet Klaipedanse a aussi donné la possibilité à des artistes français d’enseigner et monter des projets à Klaipėda. Alban Richard s’y est rendu à plusieurs reprises et a imaginé deux importants projets avec des habitant·es, étudiant·es et professionnel·les mélangé·es, dont INSANE en septembre 2023, qui a mobilisé 55 personnes dans l’espace public. Le directeur du ccncn a aussi invité Mathilde Monfreux à Klaipėda, qui y a réalisé un film et créé une performance avec des habitant·es, ou encore Rachid Ouramdane et Joanne Leighton, qui ont monté chacun une pièce pour la Seiko Dance Company. Signe de la vitalité du projet, Klaipedanse essaime en dehors de la ville et a permis d’enclencher des actions (ateliers, échanges, spectacles) à Vilnius et Kaunas, Capitale européenne de la culture en 2022.
Si ces actions perdurent et se développent, c’est parce que qu’elles sont pensées sur le temps long et s’ancrent patiemment dans des réalités et enjeux locaux, en continuité avec le projet du ccncn. À l’automne 2024, les résultats de ce programme pluriannuel seront présentés à Caen, dans le cadre de la saison de la Lituanie en France co-organisée par l’Institut culturel lituanien et l’Institut français. La Seiko Dance Company et différents acteurs et actrices du projet Klaipedanse viendront partager et échanger sur cette expérience mais aussi présenter des pièces chorégraphiques. L’occasion de vérifier la solidité d’un modèle qui sera bientôt décliné en République tchèque, entre Prague et Žďár. Ces projets, comme la présence régulière d’artistes étrangers au ccncn, a identifié notre centre chorégraphique sur la scène internationale et placé Caen sur la carte européenne de la danse.
© Vincent Théval, décembre 2023
Légende photo : La performance INSANE, imaginée par Alban Richard avec des habitant·es, étudiant·es et professionnel·les, présentée dans l’espace public à Klaipėda en septembre 2023.