Le dispositif « Danse à l’école »
Depuis bientôt 10 ans, le ccncn s’est emparé du dispositif partenarial “Danse à l’école” pour proposer des parcours de découverte et de pratique de la danse contemporaine à des classes de Caen et du département de la Manche. Présentation de cet outil de démocratisation culturelle plus essentiel que jamais et reportage dans une école élémentaire du quartier de la Folie-Couvrechef à Caen.
LE PROJET
Créée au milieu des années 80 à Chartres, l’association Danse au cœur a fédéré des actrices et acteurs de l’éducation populaire et de l’éducation physique et sportive pour développer la danse en milieu scolaire et s’est constituée en centre national des cultures et des ressources chorégraphiques pour l’enfance et l’adolescence. Elle n’existe plus aujourd’hui mais son héritage est vaste et s’incarne notamment au sein du dispositif national “Danse à l’école”, projet d’éducation artistique et culturel que le ccncn porte à Caen et dans la Manche depuis bientôt dix ans. Associant artistes, enseignants et élèves, ces parcours collectifs et partenariaux se déploient de janvier à juin et travaillent les modes de représentation du corps dans la société tout en révélant la part créative de chaque enfant.
À Caen, le parcours était proposé cette année à cinq classes – du CE2 au CM2 – des écoles Paul Gernez, Fernand Léger, Cinq Continents et La Maladrerie, dans le cadre du Contrat triennal enfance & jeunesse porté par la DRAC en lien avec les services de la ville. Dans la Manche, ce sont des élèves de Sartilly-Baie-Bocage (deux classes de 6e du collège Anatole France et les CM2 de l’école Alain Fournier) qui participaient au projet, inscrit dans le cadre du Schéma départemental de l’enseignement, des pratiques et de l’éducation artistique du département partenaire, en lien avec l’Éducation nationale et l’écomusée de Vains. En 2024, la thématique commune à ces parcours était l’exploration du lien entre le corps et le paysage. En début d’année, le ccn organisait une journée de formation des acteurs du projet : enseignants, conseillers pédagogiques et danseur·euses en charge de mener les ateliers, cette année Enzo Gambini et Charlotte Josse (en Manche) et Mélanie Giffard et Constance Diard (à Caen). Ce temps de formation permet de fixer un cap commun et d’utiliser un lexique et des outils communs.
Du côté des élèves, le parcours prévoit un cycle d’ateliers de pratique (entre 10 et 20 heures par classe) menés par les artistes au sein des établissements, mais aussi un temps de découverte du ccn : visite, équipes, métiers et propositions artistiques (une répétition publique et un spectacle). Pensé comme un chemin vers la danse contemporaine, ce parcours forme des futurs spectateurs mais pose aussi la danse comme un facteur de développement moteur individuel et un outil pour stimuler l’imagination, le sensible et la poésie. Les ateliers donnent lieu à la restitution publique d’une forme, fixée en vidéo ou en podcast afin de partager la trace de l’expérience collective. En fidélité avec le thème de cette année, les restitutions se tenaient à l’écomusée de la Baie du Mont-Saint-Michel à Vains, pour le sud Manche, et au Château de Caen.
UN ATELIER
Chaque classe développe donc une forme dont rien n’est décidé à l’avance, fruit d’une recherche collective. C’est ce travail qui se poursuit ce vendredi 17 mai à l’école Cinq Continents (Caen) où Constance Diard retrouve la classe de CM1/CM2 pour la troisième des cinq séances du projet. Dans leur salle à l’étage, la danseuse évoque justement la restitution qui se profile et le thème retenu du “corps paysage”. La forme que les enfants vont concevoir avec elle se déroulera en extérieur, au château de Caen, déjà un paysage en lui-même. Constance Diard propose d’imaginer une chorégraphie à partir du tracé d’une carte et demande aux élèves de prendre chacun une feuille pour en dessiner les contours. “Le rectangle de la feuille sera notre territoire. Imaginez que c’est le terrain de basket dans la cour. Ne faites pas un cheminement trop compliqué sinon vous ne pourrez pas le mémoriser”, conseille la danseuse. Chacun dessine un trajet fait de courbes et lignes droites ; les feuilles sont ramassées, elles serviront plus tard. Pour l’heure, direction la cour : il fait beau et on va pouvoir profiter du terrain de basket, “notre territoire” pour l’après-midi.
Avant toute chose, il faut s’échauffer : on se frotte les mains, les bras, les épaules (“on réveille toute la surface de la peau”) puis on fait quelques cercles avec la tête, le bassin, les bras, “comme si on était dans l’eau”. Pour le dernier temps d’échauffement, les élèves doivent arpenter le terrain en silence, en essayant de se répartir sur l’ensemble de sa surface. Régulièrement, Constance Diard fait se figer le groupe avant de le réactiver, non sans remarquer au passage que des pans entiers de l’espace ne sont pas occupés et qu’il faut mieux se répartir. La danseuse donne aussi des indications de vitesse, de sorte qu’il faut s’adapter en permanence, aux instructions mais aussi aux autres. Ce faisant, elle favorise l’émergence d’une cohérence de groupe et d’une écoute collective.
Regroupés sous l’un des paniers de basket, les élèves vont maintenant travailler sur des gestes, en commençant par celui de lancer (son bassin, un coude, un pied ou un genou). Les enfants vont déployer les gestes qu’ils ont imaginé, en traversant le terrain avec à l’esprit cette indication : “Il faut que des personnes de l’extérieur puissent comprendre ce que vous êtes en train de faire”. Déjà se fait jour l’idée de lisibilité et d’adresse à un public. Deux traversées successives du terrain permettent d’affiner leurs propositions. La séance se poursuit en filant une série de verbes d’action : flotter, tourner, tapoter, sauter, dessiner, avec toujours pour double consigne de se sentir libre d’expérimenter et d’être attentif à ce que son geste puisse être interprété. D’ailleurs, au moment de dévoiler aux élèves chaque nouvelle action à performer, Constance Diard les réunit en conciliabule et donne la consigne à voix basse, pour que leur enseignante n’entende pas et puisse deviner l’action, devenant ainsi de fait leur premier public.
Il est 15h05 et la sonnerie marque le début de la récréation : les autres élèves envahissent bientôt la cour, accompagnés par les enseignants. Parmi eux, Vincent Lehay vient saluer Constance Diard, qui travaille aussi avec sa classe de CM1/CM2 sur le projet, et souligne ce que cela apporte aux élèves : “Se montrer aux autres dans différentes attitudes ne les gêne plus”. La fin de séance l’illustre bien, où il va s’agir pour chaque élève de fixer un geste pour chacune des six actions travaillées plus tôt : “Vous allez écrire une petite phrase chorégraphique, un enchainement des six gestes. Travaillez des mouvements que vous aimez bien et qui soient reconnaissables par le public”. À chaque fois que les élèves ont fixé leurs mouvements respectifs, on teste l’enchainement avec les précédents, pour affiner et mémoriser. Au fur et à mesure des essais et répétitions, d’abord dirigés à voix haute par Constance Diard puis effectués en silence, prend forme une mosaïque de gestes différents mais synchronisés. Après un dernier enchainement particulièrement fluide, la danseuse félicite les élèves et annonce le programme du prochain atelier : il s’agira d’inscrire ces enchainements sur le trajet que chacun a dessiné en début de séance et ainsi “inventer des chorégraphies” pour la restitution au château.
© Vincent Théval, juillet 2024
Légende photo : Restitution publique du projet Danse à l’école au château de Caen, le 28 juin 2024 © Alban Van Wassenhove