Interview croisée Ola Maciejewska x Mélanie Perrier – Artistes associées

Artistes asso­ciées au centre cho­ré­gra­phique natio­nal de Caen en Nor­man­die de 2016 à 2018, les dan­seuses et cho­ré­graphes Ola Macie­jews­ka et Méla­nie Per­rier sont deux jeunes artistes émer­gentes de la scène contem­po­raine française.

Tan­dis que la pre­mière conti­nue d’arpenter de nom­breuses scènes et fes­ti­vals de renom­mée inter­na­tio­nale avec ses per­for­mances Loie Ful­ler : Research ou BOMBYX MORI, la seconde revient d’Avignon où elle a pré­sen­té sa der­nière créa­tion CARE, que nous avions pu voir à Caen en mars dernier.

A l’occasion des Jour­nées Euro­péennes du Patri­moine les 16 et 17 sep­tembre pro­chains, elles seront à notre invi­ta­tion réunies pour la pre­mière fois dans l’architectural écrin de l’Artothèque de Caen, le lieu par­fait pour décou­vrir leur travail.

Ren­contre !

Peux-tu te présenter ?

Ola Macie­jews­ka : Je m’appelle Ola Macie­jews­ka et je suis dan­seuse et cho­ré­graphe. Je vis à Paris et je suis artiste asso­ciée au ccn de Caen de 2016 à 2018. Actuel­le­ment je suis en tour­née avec mes per­for­mances Loie Ful­ler : Research et BOMBYX MORI et tra­vaille sur un nou­veau pro­jet inti­tu­lé DANCE CONCERT.

Méla­nie Per­rier : Cho­ré­graphe et direc­trice artis­tique de la Com­pa­gnie 2minimum, j’ai ini­tié ma démarche artis­tique il y a presque 20ans, en ques­tion­nant la rela­tion à l’autre par des per­for­mances et une thèse. Puis la danse a irra­dié ma manière de voir, et est deve­nu le moyen de conti­nuer à creu­ser ce champ vaste des relations.

Com­ment es-tu venue à la danse ?

O.M : Je me suis ins­crite avec l’aide de ma mère à l’école natio­nale de bal­let à l’âge de 8 ans. C’est ain­si que tout a com­men­cé. Plus tard j’ai étu­dié la danse, la cho­ré­gra­phie, la dra­ma­tur­gie et les grands cou­rants théâtraux.

M.P : En dan­sant, mais aus­si et sur­tout en appre­nant à regar­der la danse. Je me suis nour­rie pen­dant les 10 der­nières années de spec­tacles, avec un plai­sir et une curio­si­té réjouis­santes. De voir la danse en train de se faire, de s’inventer à défi­ni­ti­ve­ment déter­mi­ner ma place, luxueuse, de chorégraphe.

Peux-tu nous dire quelques mots sur « Loie Ful­ler : Research » / « A la cha­leur de ton souffle » que l’on ver­ra à l’Artothèque de Caen les 16 et 17 sep­tembre pour les JEP ?

O.M : Cette per­for­mance a été créée en 2011 dans le cadre de ma recherche artis­tique sur le mou­ve­ment en danse. L’histoire de la danse est prin­ci­pa­le­ment ancrée sur le corps en mouvement.
Loie Ful­ler est l’une des dan­seuses qui a pro­po­sé une notion alter­na­tive du mou­ve­ment dan­sé. Dans Loie Ful­ler : Research, le mou­ve­ment est un résul­tat de l’interaction entre le corps et l’objet. Les formes sculp­tu­rales sont une sorte de visua­li­sa­tion de cette relation.

M.P : C’est une per­for­mance inédite, jouée pour la pre­mière fois. Les 6 dan­seuses se ren­con­tre­ront le jour J. Dans cette salle voû­tée, entre ses lourdes colonnes mil­lé­naires, ces 3 duos les yeux fer­més, cha­cune der­rière l’autre, se décou­vri­ront, avec pour seul mode de dia­logue dan­sé : le souffle. De l’essoufflement indi­vi­duel aux ins­pi­ra­tions mutuelles, la res­pi­ra­tion de l’une vien­dra alors accom­pa­gner celle de l’autre, et créer un mou­ve­ment et tra­jet com­mun. Cette per­for­mance espère ain­si réac­ti­ver la pré­sence de tous ces autres qui ont été devant, à côté puis der­rière soi…Le son d’un vio­lon­celle vien­dra réson­ner comme pour pro­lon­ger la musique des ces souffles échangés.

A ton avis, quel rôle doit avoir l’artiste dans la socié­té actuelle ?

O.M : La figure de l’artiste est tou­jours une pro­jec­tion. Il/elle peut se jouer de l’image du pen­seur dis­tan­cié et éru­dit, de la pop-star, du scep­tique, de l’excentrique, du médium, du chef d’entreprise, du génie, du pro­fes­seur, de l’amuseur, de l’inventeur … ça dépend tou­jours d’un contexte. Pour moi per­son­nel­le­ment, l’art est un endroit, un espace, un milieu, un évé­ne­ment, dans lequel je peux reca­drer à la fois les modes de per­cep­tion col­lec­tifs mais aus­si les miens ; quand l’art ne se concentre pas uni­que­ment autour d’un artiste, de sa façon de voir les choses comme bonnes ou mau­vaises, mais plu­tôt sur l’expérience qu’il/elle peut évo­quer, le voyage qui emporte le public, lui rap­pelle des choses ou le confronte.

M.P : Pour moi l’artiste aujourd’hui se doit de ne pas par­ti­ci­per à ali­men­ter la fabrique de diver­tis­se­ment ambiant mais bien de pro­po­ser des alter­na­tives de repré­sen­ta­tions et d’éprouver le monde. L’artiste a un rôle éthique et poli­tique à tenir dans la socié­té qu’il habite, il est un agi­ta­teur puis­sant de rela­tions entre les indi­vi­dus ! Pour moi, il ne s’agit plus pour l’artiste de dénon­cer un état du monde, mais de don­ner à sen­tir de nou­velles alter­na­tives de forme de vies, grâce à la danse. C’est en tout cas ce que je défends, avec un modèle de spec­tacle cho­ré­gra­phique pen­sé comme une expé­rience sen­sible impac­tant le corps du spec­ta­teur. Cha­cune de mes pièces s’impose comme un mani­feste éthique de danse !

Tu es « artiste asso­ciée » au ccn de Caen… Quel sens cela a‑t-il pour toi ?

O.M : Être artiste asso­ciée au ccn de Caen est un grand hon­neur et signi­fie beau­coup pour moi. Le ccn sera l’hôte de ma démarche artis­tique de 2016 à 2018, c’est excep­tion­nel d’avoir une base stable durant 3 ans qui me per­mette de me pro­je­ter dans le futur à venir, de déve­lop­per mes recherches et de tes­ter, éprou­ver des idées dans un lieu fixe.
Le ccn de Caen est aus­si un lieu qui encou­rage les citoyens et les artistes à s’engager dans le par­tage et le ren­for­ce­ment de la danse, c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup.

M.P : Être asso­ciée au CCN de Caen est comme un phare pour la com­pa­gnie, qui déter­mine un ter­ri­toire vaste où che­mi­ner et reve­nir, un lieu où dépo­ser des ten­ta­tives. Les 3 ans sont tel­le­ment néces­saires pour avoir le temps d’imaginer les choses, de venir à la rencontre.

Quel est le der­nier film, spec­tacle ou expo que tu aies vu et que tu aurais envie de par­ta­ger avec nous ?

O.M : J’ai beau­coup aimé le film de Fabri­zio Ter­ra­no­va inti­tu­lé Don­na Hara­way : Sto­ry Tel­ling for Earth­ly Sur­vi­val. Le tra­vail de Don­na Hara­way dans le domaine de la tech­no­lo­gie, au tra­vers des espèces, du genre, de la science avec un enga­ge­ment pro­fond envers le fémi­nisme et l’environnementalisme contre­dit vrai­ment les divi­sions et nous engage à créer une nou­velle com­pré­hen­sion de nos rela­tions avec les ani­maux, la tech­no­lo­gie, les éco­sys­tèmes, d’une manière tota­le­ment rebelle. Ter­ra­no­va et Hara­way ont réus­si à par­ler de pro­blèmes graves et urgents avec humour, en nous fai­sant rire.

M.P : Pro­ces­sion de Nace­ra Bela­za au Pan­théon à Paris. Por­tée par une ving­taine de dan­seurs ama­teurs seniors, cette pro­ces­sion d’une len­teur infi­nie et aux mur­mures com­muns pro­gres­sant était d’une ter­rible et envou­tante gra­vi­té. J’aime qu’une pièce vienne dépo­ser un geste par­ti­cu­lier dans le lieu et faire réson­ner des mémoires lointaines.

Pro­pos recueillis par Auré­lien Barbaux
août 2017

©Ola Macie­jews­ka – ©Erik Houllier