Portrait Katerina Andreou

Artiste asso­ciée au centre cho­ré­gra­phique natio­nal de Caen en Nor­man­die jusqu’en 2025, la cho­ré­graphe, dan­seuse et musi­cienne grecque Kate­ri­na Andreou s’est – en quelques années à peine – dis­tin­guée comme l’une des figures les plus sin­gu­lières et pas­sion­nantes de la jeune génération.

Kate­ri­na Andreou est une artiste curieuse, exi­geante et opi­niâtre, pour qui la danse est une voca­tion qu’il a fal­lu apprendre à iden­ti­fier, un choix qu’il a fal­lu apprendre à assu­mer. Elle gran­dit à Athènes au sein d’une famille nom­breuse, avec deux sœurs et un frère, et c’est sa mère qui l’inscrit, quand elle a cinq ans, à l’école de danse du quar­tier, presque par hasard. Loin d’être une révé­la­tion, l’expérience lui est d’abord pénible : “Je me rap­pelle ma détresse pen­dant la pre­mière année. Je ne sup­por­tais pas que les habits me collent au corps et que la pro­fes­seure parle si fort par-des­sus de la musique. J’étais la plus petite et j’ai trou­vé l’environnement assez hos­tile. Au bout de quelques mois, j’ai deman­dé à arrê­ter la danse et à faire du sport, mais ma mère a insis­té en me chan­geant d’école de danse. Et ça a mieux mar­ché.” Elle ne lâche­ra pas ces cours, en paral­lèle de son cur­sus sco­laire. L’autre contact qu’elle entre­tient avec la danse, dans un envi­ron­ne­ment fami­lial où la culture n’est pas cen­trale, ce sont les fêtes du vil­lage dont est ori­gi­naire son père, dans la région de l’Épire, au nord de la Grèce, où elle passe tous ses étés. Ces soi­rées sont ryth­mées par les danses tra­di­tion­nelles que son père, avo­cat, aime mener : “J’ai cette image d’un che­vreuil qui saute, se sou­vient Kate­ri­na Andreou. J’ai l’impression que dans ces petits sauts-là, se concen­traient toute sa joie et sa nos­tal­gie. C’est quelque chose qui est res­té avec moi. Quand j’étais petite, ça a long­temps été l’image que j’associais à la danse et à la joie.” Mais dans son par­cours, la danse reste une acti­vi­té de loi­sir et la jeune femme se dirige vers des études de droit, mar­quée par un héri­tage fami­lial et une logique de sécu­ri­té maté­rielle qui finit par la rendre mal­heu­reuse. Elle exerce le métier d’avocat pen­dant presque un an. Kate­ri­na Andreou a 23 ans et l’impression de gâcher sa vie. “D’un coup, cela m’a paru assez évident qu’il fal­lait que je pos­tule aux exa­mens d’entrée à l’école publique de danse d’Athènes, avant d’être rat­tra­pée par la limite d’âge. À l’époque, ça a été très dur de convaincre mes parents et mon entou­rage que ce n’était pas une déci­sion imma­ture et folle mais bel et bien nécessaire.”

C’est le début d’un par­cours de for­ma­tion et d’apprentissage, où la guident sa curio­si­té et sa joie de décou­vrir des esthé­tiques et des pra­tiques. En 2011, à l’issue de sa for­ma­tion, consta­tant les limites de l’écosystème de la danse en Grèce, Kate­ri­na Andreou s’établit en France. Elle intègre ESSAIS, le mas­ter en créa­tion cho­ré­gra­phique du Centre Natio­nal de la danse contem­po­raine d’Angers, diri­gé par Emma­nuelle Huynh. “En France, tout me parais­sait agréable, magni­fique et nou­veau,” se sou­vient Kate­ri­na Andreou, qui tra­vaille en tant qu’interprète avec DD Dor­vil­lier, Joce­lyn Cot­ten­cin, Anne-Lise Le Gac ou Lenio Kak­lea, et tra­verse ain­si des esthé­tiques et des approches dif­fé­rentes de la danse. Sur­tout, elle pour­suit en paral­lèle un tra­vail de recherche per­son­nel qui va finir par s’incarner en un objet cho­ré­gra­phique. Invi­tée par Lenio Kak­lea à pré­sen­ter ses recherches lors d’un Focus Grèce du fes­ti­val Dañs­Fa­brik à Brest, elle se voit pro­po­ser des dates par plu­sieurs pro­gram­ma­trices pré­sentes à l’événement : “Ces pro­messes de dates, pour moi, ont fait la pièce. Jusque-là, c’est quelque chose que je fai­sais seule en stu­dio et cette pers­pec­tive m’a pous­sée à fina­li­ser l’objet et à lui don­ner une forme publique plus ser­rée.” C’est ain­si que naît A Kind of Fierce, pre­mier solo qui reçoit le prix Jar­din d’Europe 2016 au fes­ti­val Impuls Tanz de Vienne. Tra­ver­sée par la ques­tion du libre arbitre, la pièce pose les bases d’une éman­ci­pa­tion per­son­nelle et ose une pre­mière réponse à la ques­tion qui guide ses recherches : “Com­ment être seule devant un public, avec mes propres outils et mon tra­vail ?” En 2018, BSTRD lui per­met d’approfondir sa réflexion et sa pra­tique mais aus­si de décons­truire les codes héri­tés de sa for­ma­tion, en s’inspirant des com­mu­nau­tés des danses urbaines et de la house, pour un résul­tat plus lit­té­ral et radi­cal. Ima­gi­née avec Nata­li Man­di­la pen­dant la crise du covid, Zep­pe­lin Bend (2021) est son pre­mier duo, un tra­vail sur l’amitié qui lui per­met de tenir durant cette période dif­fi­cile et d’aller vers un autre solo, Mourn Baby Mourn (2022). Dans cette nou­velle pièce, elle trans­cende une tris­tesse et une détresse qui dépassent sa seule per­sonne, symp­tômes d’un mal collectif.

Pour Mourn Baby Mourn, comme pour BSTRD (pré­sen­té au public caen­nais en mai der­nier), Kate­ri­na Andreou a béné­fi­cié de plu­sieurs semaines de tra­vail au ccn de Caen. Dans les mois qui viennent, la cho­ré­graphe va inten­si­fier sa pré­sence sur le ter­ri­toire, en déve­lop­pant des pro­jets d’action cultu­relle et des col­la­bo­ra­tions inédites. “Dans la pro­duc­tion cho­ré­gra­phique, on peut vite être iso­lée. On peut être par­tout et nulle part en même temps. Cette asso­cia­tion me per­met de me sen­tir quelque part”, ana­lyse la cho­ré­graphe qui, fidèle à sa curio­si­té et son goût des ren­contres, a notam­ment enta­mé un pro­jet avec les joueuses du Rol­ler Der­by Caen. “Ce sont des femmes très fortes, que j’admire. Cela m’intéresse de ren­con­trer les actrices de cer­taines scènes et com­mu­nau­tés qu’on ne voit pas par­tout. Pour faire le lien et rendre plus visible cette coexis­tence des pra­tiques et des gens.”

© Vincent Thé­val, jan­vier 2023